Conférence de l’Unesco : les universités de « classe mondiale » sur la sellette
« Le battage médiatique entourant les universités de niveau international dépasse largement les besoins éducatifs et le potentiel de recherche de bon nombre de pays, surtout en période de crise économique mondiale » dénonce Jamil Salmi, auteur du nouveau rapport de la banque mondiale Le défi d’établir des universités de niveau international (voir fichier en pdf ci-dessous), présenté lors du sommet de l’Unesco à Paris le 6 juillet 2009.
Un modèle inadapté aux besoins des pays émergents
Lors d’une session consacrée aux « Universités de classe mondiale », plusieurs intervenants ont critiqué le modèle des universités d’excellence issu des classements internationaux du type de celui de Shanghai. Il ressort que ce modèle d’établissement, qui assimile systématiquement l’excellence à la recherche, n’est pas adapté aux besoins des pays émergents. Selon le rapport de la Banque mondiale, « les pays pressés de construire des universités internationales d’élite devraient déterminer s’ils peuvent se permettre de dépenser les sommes élevées qu’impliquent la construction et la gestion de telles institutions sans nuire au reste du système éducatif du pays. »
Jamil Salmi a ainsi pris l’exemple du Brésil, « dixième plus grande économie et sixième plus gros constructeur de voitures au monde mais dont aucune université ne figure parmi les 100 premières universités du classement mondial ».
Pour une excellence de l’enseignement
De son côté, Dirk Van Damme, directeur du Centre pour l’éducation, la recherche et l’innovation (CERI) de l’OCDE a dénoncé l’obsession illusoire de l’excellence des établissements d’enseignement supérieur. « Cette quête d’excellence disperse l’énergie de ces institutions qui devraient plus se concentrer sur l’innovation pour répondre aux vrais défis du XXIème siècle. En matière d’excellence, les universités ne doivent pas se concentrer sur la recherche, il faudrait aussi des établissements d’excellence en enseignement qui offrent une véritable plus-value aux étudiants. » Dirk Van Damme a rejoint les critiques contre les rankings internationaux, qui, en matière de création et transfert de connaissances, donnent une vision « simpliste d‘une situation complexe. »
Le contre-modèle des universités polytechniques
Pour l’expert de la Banque mondiale, le décalage dans certains pays, entre des institutions d’excellence et des débouchés économiques insuffisants, risquerait d’aggraver la fuite de cerveaux. Jamil Salmi soutient que de nombreux pays devraient se concentrer d’abord sur le développement des meilleures universités nationales possibles, en prenant peut-être comme modèle certains établissements d’enseignement supérieur américains (créés grâce à une donation foncière du gouvernement fédéral) ou des universités polytechniques d’Allemagne et du Canada.
Selon lui, ces institutions mettraient l’accent sur les divers besoins d’apprentissage et de formation de la population étudiante et de l’économie domestique. En concentrant leurs efforts sur la communauté et l’économie locales, M. Salmi explique que ces institutions pourraient amener un développement plus efficace et plus durable que ne le feraient leurs aspirations de renommée internationale.
Institut 2IE : quand l’Afrique lutte contre le « brain drain »
Former des techniciens et ingénieurs qui resteront au pays : depuis 40 ans, l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2IE www.2ie-edu.org/) réussit le pari de lutter contre la fuite des cerveaux africains. Basé à Ouagadougou au Burkina-Faso, l’établissement créé par 14 pays francophones, avec le soutien de la France, a formé plus de 3000 professionnels. Il accueille aujourd’hui 1000 étudiants en formation initiale sur place et 450 étudiants en formation à distance.
Il affiche un taux de placement de 97 % des diplômés (à 6 mois) et une insertion sur le continent africain pour 95 % d’entre eux. Surtout, l’Institut 2IE a attiré cette année 2500 candidats venus de 36 pays différents, preuve que « le continent africain peut être une terre d’immigration pour les études ».
Depuis 2008, 2IE s’autofinance (frais de scolarité, prestation diverses en formation continue et réponses aux appels à projets). Les subventions des Etats étrangers sont strictement réservés à l’investissement. En avril 2009¸ l’Institut a par ailleurs vu son diplôme d’ingénieur accrédité par la Commission des titres d’ingénieurs (CTI).
Mathieu Oui
09.07.09