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Le projet personnel, universitaire, professionnel, citoyen et son aliénation
mardi 30 septembre 2008
par Denis Lemercier

L’article L. 123.3 de la L. R. U. établit les missions de service public de l’enseignement supérieur. Parmi ses missions (la troisième dans l’ordre d’énonciation), on trouve l’orientation et l’insertion professionnelle. L’adjectif professionnel étant au singulier on en déduit que l’orientation concerne aussi bien l’orientation universitaire que professionnelle et même plus largement toute l’orientation de la vie. (L’article L. 123.3 de la L. R. U. établit les missions de service public de l’enseignement supérieur. Parmi ses missions (la troisième dans l’ordre d’énonciation), on trouve l’orientation et l’insertion professionnelle. L’adjectif professionnel étant au singulier on en déduit que l’orientation concerne aussi bien l’orientation universitaire que professionnelle et même plus largement toute l’orientation de la vie. (Je laisse de côté la question piégée de l’insertion professionnelle que j’ai abordée dans un autre article du site Snesup Caen). Se trouve ainsi posée la question centrale de l’orientation de chaque étudiant(e) : la construction et la réalisation de son projet personnel. Ce projet personnel incluant bien évidemment les projets universitaire, professionnel, de citoyen pour se limiter aux finalités habituelles de l’éducation telles qu’elles sont énoncées dans les textes officiels (Lois d’orientation de l’éducation). Quelle est la réalité du projet de l’étudiant-e, tant dans ses aspects théoriques que pratiques ? Remarquons au passage que cette question du projet, bien avant qu’elle soit mise à la mode dans les années 90 fut toujours au centre de l’activité du Conseiller d’orientation (Cf. par ex. Léon, 1957 ; Coulbaut & Lemercier, 1975) dont la qualification de psychologue est reconnue dans sa dénomination de Conseiller d’orientation-psychologue.

Je souligne aussi que la question de l’orientation des étudiant(e)s, si elle se réalise dans la logique éducative que je précise ci-dessous, peut être une manière de retourner les objectifs de la L. R. U. contre elle-même, car il s’agit bien pour moi de lutter contre la L. R. U. et même de la mettre en échec, d’obtenir son abrogation.

La nature de la tâche de la construction et de la réalisation du projet ne change pas quand elle concerne l’enseignement supérieur même s’il est peu concerné, vu leur nombre très faible, par l’activité des CO-Psy. Je précise que, comme je viens de le souligner, je me situe dans cette intervention dans une perspective éducative : l’éducation étant la finalité de tous les services du ou des Ministères des différents ordres d’enseignement. L’éducation renvoie, ou devrait renvoyer à ses finalités : elles sont dialectiquement, et sociales et psychologiques. Les finalités sociales de l’Education sont caractérisées par le fait que celle-ci doit assurer le développement positif de la société, par la transmission des acquis de l’humanité d’une génération à l’autre. Mais ces finalités n’ont de sens et ne peuvent se réaliser qu’au travers de finalités psychologiques qui s’appliquent à des personnes qui, elles-mêmes, ne réaliseront et ne pourront réaliser leur vie d’être humain qu’à l’intérieur des relations, des rapports sociaux, qu’elles trouvent et qu’elles transforment par leur activité.

Pour ce qui concerne ses finalités psychologiques, assez classiquement, l’Education doit « faire (de l’enfant) l’homme le plus complet qu’il puisse devenir » (Wallon, 1945) ou encore, de façon similaire doit « permettre (à chacun) de développer sa personnalité » (Loi d’orientation sur l’Education du 10/07/89, art. 1er). Je suis en accord avec cette formulation ; il me semble néanmoins qu’elle peut être enrichie et précisée. Pour moi les finalités psychologiques de l’Education pourraient s’énoncer ainsi : permettre à l’élève (à l’adulte qu’il sera) d’élaborer sans fin (autre que sa fin personnelle) un projet de plus en plus conscient de développement de sa propre personnalité. Cette formulation des finalités psychologiques de l’Education envisage de fait l’articulation de trois processus imbriqués :

a) le développement du projet de vie, personnel, professionnel , de citoyen, …
b) le développement de la personnalité,
c) le développement de la conscience de soi.

J’entends par projet personnel l’ensemble constitué par le but, les motivations (conscientes et inconscientes) qui le sous-tendent et les moyens dont le sujet peut disposer pour l’atteindre. (Lemercier-Kühn, 1988).

Je vais illustrer la complexité de la question à partir d’un exemple. Lors d’un cours ayant pour thème "Le projet de l’élève" une étudiante me posa la question suivante : "Un élève qui a pour projet en 6ème d’être professeur d’Education physique et sportive a t il changé de projet s’il exprime la même ambition en classe de Terminale ?". Cette étudiante soulevait un problème important du point de vue psychologique : l’élève, de la 6ème à la Terminale n’aurait il donc pas psychologiquement changé en six ans puisque son "projet" reste le même ? Cette question peut être formulée différemment : être professeur d’E.P.S. a t il le même sens pour l’élève de 6ème qu’il était et l’élève de Terminale qu’il est devenu ?

On peut encore formuler le problème de la façon suivante : psychologiquement, le projet de l’élève peut il être seulement défini par le fait qu’il dit désirer être professeur d’E.P.S. ?

Trop souvent, le projet est réduit à son but, ici être professeur d’E.P.S.. I1 est bien évident qu’en six ans la représentation que l’élève se fait du professeur d’E.P.S. a changé ; par conséquent de ce seul point de vue, le projet a changé.

Mais le projet a bien d’autres constituants que le but qui n’en est, pour certains d’entre eux, que la résultante. En effet, il est une catégorie essentielle au contenu psychologique du projet : ce sont les motivations (conscientes et/ou inconscientes) qui sous tendent la formation et la réalisation du but et qui donnent les sens proprement personnels nous disons bien les sens puisque le projet est toujours sous tendu par plusieurs motivations, qui peuvent d’ailleurs être conflictuelles sens donc que ce but peut avoir pour le sujet ; le but lui permettant tout simplement de réaliser ses motivations. Là encore, on peut penser que les motivations de l’élève, avec l’apparition d’une personnalité de plus en plus consciente d’elle même, ont changé entre la classe de 6ème et la classe de terminale.

Enfin, dernière catégorie d’éléments constituant le projet : les moyens que l’élève est prêt à mettre en oeuvre pour réaliser ses motivations, pour atteindre son but. La mise en oeuvre de ces moyens étant le lien le plus matériel entre le moment présent et l’avenir, cet avenir où enfin il sera professeur d’E.P.S..

Notons que parmi ces moyens, dans l’exemple donné ici, le développement des capacités et des habiletés motrices prend une grande place à côté, par exemple, des capacités requises habituellement pour aboutir en fin d’enseignement secondaire à la réussite du Baccalauréat.

Les savoirs, savoir-faire, capacités développés, connaissances, informations, suffisent-ils à eux-seuls à recomposer, enrichir, développer, le projet de l’élève ? Evidemment non ! Les nombreuses études réalisées sur la question mettent bien en évidence que l’information, même si les connaissances sont assimilées en tant que connaissances, - ce qui n’est même pas le cas bien souvent - peuvent être d’une totale inefficacité psychologique - c’est-à-dire du point de vue du développement de la personnalité et de la conscience de soi [à ne pas confondre là encore avec la connaissance de soi qui fait parfois fureur dans les collèges avec la prétendue éducation à l’orientation] - si cette information, ces connaissances n’ont pas de sens vivants pour le jeune, ne s’intègrent pas aux déterminants de son activité. Et pourtant combien de fois n’ai-je pas entendu qu’il suffirait d’informer les jeunes pour que les problèmes de leur "orientation" ou même les questions de l’échec scolaire soient réglées !

Mais ce projet professionnel au contenu déjà complexe, mouvant (même si le but reste identique ce qui n’est pas toujours le cas ) n’est pas isolé dans l’activité de l’élève. Le jeune n’est pas seulement un futur professionnel, il est aussi par exemple, un citoyen en puissance : une dialectique, consciente ou non, existe déjà entre son projet professionnel et son projet de citoyen. Socialement, le professeur d’E.P.S. a une certaine fonction, être professeur d’E.P.S. revêt une certaine signification sociale, psychologiquement cette signification sociale va prendre des sens différents d’un sujet à l’autre, d’un professeur d’E.P.S. à l’autre.

On le comprend, la formation d’un projet chez un jeune (ou un moins jeune) met en oeuvre bien des processus psychiques et cela d’autant plus que le projet est d’une grande implication pour la vie future.

L’exercice d’une profession, son choix, engage profondément un individu, puisqu’elle lui permet d’assumer dans toute sa plénitude sa fonction d’être humain.

Le développement du projet n’est pas isolé du passé comme le note Aulagnier (1986) : "Le "Je" ne s’ouvre un premier accès au futur que parce qu’il peut y projeter la rencontre avec un état et un étant passé", qui souligne qu’on ne peut rien dire sur "qui" est Je sans appel à ce que Je pense devenir..." ; Aulagnier indique bien ici les liens entre passé, présent et futur dans l’apparition et le développement de la personnalité encore inconsciente d’elle même.

La première formulation d’un projet, souligne Aulagnier, qui manifeste l’accès de l’enfant au futur est : quand je serai grand je ... Dans un premier temps cela renverra aux formules qu’elle résume ainsi : j’épouserai maman ; je posséderai tous les objets qui existent.

Dans la phase qui suivra, l’énoncé sera complété par un : ... je serai cela (avocat, médecin, père, retraité). "Quel que soit le terme, qui n’est pas indifférent, l’important est qu’il devra désigner un prédicat possible et surtout, et avant tout, un prédicat conforme au système de parenté auquel appartient le sujet".

Par conséquent, le projet apparaît très tôt dans le développement psychique de l’enfant. Ce développement est largement conditionné par le développement psychomoteur (cf. Wallon et Piaget notamment) qui se construit dans le rapport aux autres et au monde objectif. Développement psychomoteur que toute pratique sportive physique, corporelle pourra contribuer à assurer.

En tout cas, si le jeune de collège ou de lycée est déjà porteur d’un projet, cela ne veut pas dire que ce projet soit déterminé, définitif et qu’il s’agirait pour lui de le réaliser tel qu’il est.

Le projet plus ou moins confus, plus ou moins conscient dont est porteur par exemple un élève de 6ème pourra, même avec un but en apparence maintenu, être psychologiquement très différent quelques années après.

Les savoirs, savoir faire, capacités développés (corporels notamment), connaissances, informations, suffisent ils à enrichir, développer, reconsidérer, reconstruire le projet de l’élève ? Evidemment non ! Les nombreuses études réalisées sur la question (cf. notamment Lemercier Kühn, 1987) mettent en évidence que l’information, même si les connaissances qu’elle contient sont assimilées par le jeune, peut être d’une totale inefficacité psychologique si cette information, ces connaissances n’ont pas un sens vivant pour le jeune, ne s’intègrent pas aux déterminants de son activité.

Ce qui vient d’être dit se présente de façon identique pour toute information : les connaissances en mathématiques, en français, en langues, en E.P.S... Ainsi la faculté de comprendre des opérations motrices est fonction du sens que les actions dans lesquelles elles s’insèrent ont pour l’élève, l’étudiant(e). Le projet implique un choix ou des choix. Il s’agit pour l’éducateur, plutôt que d’aider le jeune à faire un choix, de créer les conditions pour que le jeune élargisse, par son activité, l’éventail de ses choix possibles et qu’il les détermine lui même.

Il s’agit ainsi essentiellement de préparer l’enfant, le jeune, à entrer notamment dans le monde du travail et à conduire sa vie d’adulte et non pas de lui faire choisir une profession particulière. Si cette préparation a été conçue comme devant réaliser le plein épanouissement de la personnalité, alors la capacité au choix professionnel, au choix de telle ou telle filière de formation professionnelle, sera obtenue de surcroît, pourra être mise en oeuvre sans intervention spéciale au moment où se posera concrètement la nécessité de ce choix, à la fin d’un cycle de formation générale par exemple.

Un dernier mot concernant l’éducation du citoyen, la construction et la réalisation du projet citoyen. Je veux souligner son rapport avec la laïcité, la lutte contre le racisme, le droit au travail, la possibilité de la lutte collective, l’écologie, la paix… Un autre droit me semble essentiel à l’exercice de la citoyenneté et donc à la formation des citoyens et des citoyennes : c’est le droit de participer à l’exercice et au développement de la souveraineté nationale.

Le concept de projet et surtout de projet personnel, même si la définition qu’on en donne permet son opérationnalisation relativement facilement, peut présenter une ambiguïté qui peut être dommageable à l’atteinte des finalités psychologiques poursuivies. Ma définition n’échappe pas à cette ambiguïté. Il me faut donc la lever, après avoir précisé en quoi elle consiste. L’ambiguïté relève de l’alternative suivante : ou l’on considère que l’individu trouve en lui-même ses propres déterminations, et alors le développement et la réalisation du projet est l’affaire presque exclusive du sujet ; ou l’on considère que le sujet, bien évidemment construisant et réalisant activement son projet, ne peut effectuer ces activités qu’à la condition que la société, l’Ecole, lui offrent la possibilité de cette effectuation. C’est cette deuxième partie de l’alternative qui me semble corresponde à la réalité du développement du projet personnel : l’individu n’est pas seul face au monde – ce qui est parfois considéré – et ne peut acquérir les spécificités de l’espèce humaine et les personnaliser que par leur appropriation permise par le seul processus d’éducation. Cette option, déjà décelable dans le début du texte, va se traduire dans l’ensemble de celui-ci.

Cela étant précisé, le projet est projet d’un sujet qui est d’autant plus sujet de sa vie, et des rapports sociaux, que la personnalité dont il est l’expression concrète est d’autant plus consciente d’elle-même.

Mais le projet professionnel, par exemple, au contenu déjà complexe, mouvant, n’est pas isolé dans l’activité du jeune. Ce jeune n’est pas seulement un futur professionnel, il est aussi un citoyen en puissance : une dialectique, consciente ou non, existe entre son projet professionnel et son projet de citoyen. Il en est ainsi pour l’ensemble des grandes catégories de projets que porte le sujet. Question : ce projet personnel, cette dialectique de projets du sujet, peuvent-ils se réaliser et assurer l’épanouissement du sujet ? Autrement dit les conditions sociales et les déterminations psychiques qui produisent l’activité humaine n’induisent-elles pas plutôt un processus de libération-aliénation du projet (des projets) ?

Mais avant de rentrer de plein pied dans cette problématique il nous faut préciser un peu les concepts de personnalité et de conscience.

Le développement suivant, concernant la personnalité, devra beaucoup à Léontiev (1984). L’essence de la personnalité est historico-sociale, elle n’apparaît que dans les rapports sociaux. Peut-être faut-il le rappeler quand on entend par exemple discourir sur la personnalité d’un enfant de quelques mois par exemple. L’être humain n’apparaît dans la vie qu’en tant qu’individu doté de propriétés et aptitudes naturelles, il ne devient personnalité qu’en tant que sujet des rapports sociaux. La personnalité est une formation psychique qui se crée dans les rapports vivants de l’individu, par suite des transformations de son activité. Il en découle deux éléments important pour la compréhension de la personnalité d’un individu. Tout d’abord – on n’aurait pas besoin de le souligner si ce n’était trop souvent oublié – l’apparition et le développement de la personnalité sont déterminés par le développement de l’activité que déploie le sujet. Ensuite, la singularité de chaque personnalité est déterminée par la nécessaire spécificité de l’activité de chacun : aucun individu n’occupe la même place, et au même moment, qu’un autre individu. Cette activité a des déterminants : les motivations. Développer la personnalité c’est, concrètement au niveau psychologique, diversifié les motifs de l’activité ; développement, diversification qui accroissent la diversité des rapports au monde ; cette diversité étant elle-même condition du développement de la personnalité. La base de la personnalité est donc la richesse des liaisons de l’individu avec le monde, de vrais rapports et non des rapports aliénés, c’est-à-dire qui s’opposent à lui et l’assujettissent comme ceux par exemple, que vit un salarié qui réalise – objectivement – bien plus le projet de son employeur que son projet propre (Je reviendrai ultérieurement sur cette question de l’aliénation).

Il est évident que le développement des motivations ne peut être affaire d’enseignement : le développement des motivations ne peut se faire par simple transmission d’individu à individu, de maître à élève, mais se réalise dans le vécu des tâches accomplies, dans le vécu du déroulement de la vie. Si éduquer c’est contribuer au développement de la personnalité, il s’avère que ce ne peut être la tâche de l’enseignant, qui dispense des connaissances, mais celle de l’éducateur qu’est normalement tout enseignant. Afin de bien me faire comprendre j’ajouterai l’élément suivant : l’enseignement, la transmission de connaissances, est nécessaire au processus éducatif, et pour que ce processus soit réellement formateur il est donc nécessaire que ces connaissances soient riches. Mais, hautement nécessaire, le processus d’enseignement ne suffit pas encore à la formation et au développement de la personnalité. Il faut que les connaissances, à travers le processus éducatif, prennent un sens vivant pour l’élève, qu’elles prennent un sens dans le déroulement de sa vie propre, qu’elles s’articulent avec ses motivations. On comprend ainsi comment, de ce point de vue, le CO-Psy est psychologue de l’éducation de par la pratique qu’il met en œuvre.

Mais la personnalité ne peut atteindre son développement autonome, indépendant et mieux même véritablement libre, que si elle est consciente d’elle-même.

Ceci, du point de vue des finalités de l’Education peut s’exprimer ainsi : éduquer c’est sensibiliser l’élève et créer les conditions de sa prise de conscience du fait qu’il construit sa vie – la construction et la réalisation du projet prend ici toute sa place et toute sa signification – et que, du même coup, il construit sa personnalité.

La conscience, forme spécifiquement humaine du psychisme, représente le reflet de la réalité objective séparée des rapports présents du sujet à celle-ci. Dans la conscience, l’image de la réalité ne se fond pas avec le vécu du sujet ; dans la conscience le reflété apparaît comme présenté au sujet, la réalité comprenant bien sûr, le sujet lui-même. La conscience médiatise donc les rapports du sujet au monde, le sujet étant lui-même partie du monde. Du point de vue psychologique, « le mouvement de la conscience est un processus de passages réciproques entre les contenus immédiatement sensibles et les significations revêtant tel ou tel sens en fonction des motifs d’activité. » (Léontiev, 1984, op. cité).

La source de la conscience réside dans les sensations, « le contenu immédiatement sensible », d’où le rôle important que peut jouer la pratique dans les conditions d’établissement de la conscience par le développement des différents types de sensations. Mais la conscience ne doit sa forme qu’à l’existence du langage, à l’existence des significations cristallisées dans la structure des mots et du langage, d’où le rôle important de la théorie dans le développement de la conscience. Le contenu concret de la conscience est exprimé par le rapport existant entre les significations (sociales donc) et le sens personnel qu’elles prennent en fonction des motifs de l’activité : une même note (signification) obtenue par différents élèves aura un sens (ou des sens) différents d’un élève à l’autre, suivant le motif, la motivation qui a conduit à son obtention : être supérieur aux autres, faire plaisir à sa mère, à son maître …Remarquons au passage que ces différents motifs peuvent se trouver être en conflit chez un même élève ; le contenu de la conscience est donc, dans chaque cas, différent alors que la note est identique.

La conscience est donc caractérisée par un mouvement intérieur reflétant le mouvement de la vie réelle du sujet, qu’elle médiatise.

Pour reprendre une question déjà posée : les pratiques éducatives – la construction et la réalisation du projet personnel comme forme de celles-ci – peuvent-elles supporter unilatéralement des finalités d’épanouissement, de développement de la personnalité ? Autrement dit les conditions sociales et les déterminations psychiques qui produisent l’activité humaine et en son sein les activités éducatives permettent-elles l’atteinte de ces finalités ?

Me plaçant d’un point de vue psychologique, je me réfère à Politzer (1969, p.104) pour affirmer que toute étude de cet ordre doit commencer par une étude du travail dont les rapports sont les éléments dominant la caractérisation de l’activité humaine. Le projet, pour une part, est professionnel : il est donc en liaison directe avec l’activité de travail. Or l’activité de travail comprend, bien sûr, cet élément primordial – primordial quant à l’analyse des éléments psychiques caractérisant cette activité – qu’est l’achat d’une partie essentielle de la personne, l’achat de sa puissance de travail, de sa force de travail, dont les produits échappent au travailleur puisqu’ils deviennent propriétés du (ou des propriétaires) de l’entreprise où il travaille (Cf. Marx, 1978). Là est le cœur de la négation du développement, de l’épanouissement du travailleur, là est le cœur de son aliénation, dans sa détermination sociale.

Le projet universitaire, projet de formation est pour une part très importante projet de formation professionnelle. Le projet professionnel a donc le sens de développement, de formation de la force de travail. De ce point de vue le projet est là encore en lien avec l’activité de travail et son aspect aliénant. Si l’on s’intéresse au projet sportif par exemple, il est lui-même caractérisé par le fait que le sport peut être activité de travail (sport professionnel par exemple), activité de formation (on vient de voir ce qu’il en est de son rapport au travail) ou activité de loisir (qui est pour une part récupération de la force de travail) : le projet sportif peut donc être aliéné de ces points de vue (Cf. Lemercier-Kühn, 1998).

Revenant sur le projet citoyen je voudrais citer Bonnafé (1991) : « … l’exploitation de l’homme par l’homme ne connaît pas de domaine réservé. Tout sujet humain a droit, de naissance, à la solidarité de ses concitoyens, pour abolir son « exploitation » par tout instrument, y compris la patrie, l’école, le sexe, la famille.

Alors, comme toute « exploitation »…est « inhumaine » du fait de son pouvoir manipulateur, il s’agira de toujours mieux penser et agir les voies les plus humaines de cette « abolition », en somme de défendre les droits du citoyen (souligné par l’auteur) à être le moins possible exploité/manipulé. ». La question est donc la suivante, du point de vue du projet : dans quelle mesure le projet citoyen permet au sujet, qu’en tant que citoyen, il dépende le plus librement de lui-même.

L’aliénation, quelles que soient ses déterminations, peut être définie comme perte de son être, devenu puissance étrangère, comme dépossession de soi, comme morcellement, clivage de la personnalité et/ou de la conscience.

Je reprend le terme de clivage qu’a utilisé Freud et qu’a repris Aulagnier (1984) pour désigner le fait que l’être humain se divise d’avec lui-même. Ce dernier auteur nous permet de penser ce que peuvent être les déterminations psychiques, et non plus les déterminations sociales comme précédemment avec Marx, de l’aliénation, et son lien avec le projet identificatoire.

Ainsi le projet personnel, universitaire, professionnel, sportif, citoyen, s’inscrit dans un mouvement d’épanouissement-aliénation qui est essentiellement caractérisé par la forme de l’insertion du sujet dans les rapports sociaux et familiaux. Le contenu concret de l’appropriation active et profondément subjective, par l’individu, de ces rapports contradictoires, va déterminer les rapports internes qu’entretiendrons libération et aliénation. La conscience individuelle y jouera, par la médiation qu’elle permet, un rôle important.

Bibliographie

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