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Orientation/Insertion professionnelle
A propos de l’orientation et de l’insertion professionnelle des étudiant(e)s (1)
dimanche 8 juin 2008
par Denis Lemercier
Quelques réflexions concernant la LRU

Je commencerai par citer 1°)un extrait de l’article L123 -3 de la LRU concernant les missions du service public de l’enseignement supérieur pour mettre en évidence le paragraphe trois, 2°) l’article L 611 – 5, lui-même issu de la LRU, pour situer exactement le sens de mon intervention, dans cet article, et dans l’article suivant qui est constitué par un texte que j’avais présenté à Monteil, Directeur de l’enseignement supérieur à l’époque, en présence du secrétaire général du Snesup Claude Lécaille.

Art. L. 123-3. – Les missions du service public de l’enseignement supérieur sont : ……………………………………………………………………………………… 3°) L’orientation et l’insertion professionnelle ; ………………………………………………………………………………….. « Art. L. 611-5. – Un bureau d’aide à l’insertion professionnelle des étudiants est créé dans chaque université par délibération du conseil d’administration après avis du conseil des études et de la vie universitaire. Ce bureau est notamment chargé de diffuser aux étudiants une offre de stages et d’emplois variée et en lien avec les formations proposées par l’université, et d’assister les étudiants dans leur recherche de stages et d’un premier emploi. « Il conseille les étudiants sur leurs problématiques liées à l’emploi et à l’insertion professionnelle. « Le bureau d’aide à l’insertion professionnelle des étudiants présente un rapport annuel au conseil des études et de la vie universitaire sur le nombre et la qualité des stages effectués par les étudiants, ainsi que sur l’insertion professionnelle de ceux-ci dans leur premier emploi. »

Première remarque : une des missions du service public de l’enseignement supérieur est l’orientation et l’insertion professionnelle. Deuxième remarque : le texte de loi fait apparaître que professionnelle ne prend pas d’s. Or, l’orientation peut se décomposer en orientation universitaire (équivalent de l’orientation scolaire dans les cycles précédents) et l’orientation professionnelle qui, bien sûr, s’articulent dialectiquement. Je vais développer la question de cette articulation. Mais tout d’abord, concernant l’insertion professionnelle je dirai peu de mots. Cette question est piégée dans la mesure où l’insertion professionnelle dépend essentiellement des emplois offerts dans la société. Le deuxième piège, ici dans cette loi, consiste dans le fait que le bureau d’aide à l’insertion professionnelle des étudiants est chargé d’assister ces étudiants notamment dans la recherche de stages. Quand on sait que ces stages tendent à ne pas être rémunérés, même si il y a des limitations légales à cela, on comprend que le bureau d’aide à l’insertion professionnelle va concourir (étant donné la place qu’il a dans l’institution) à l’exploitation éhontée des étudiants.

La question de l’orientation peut servir de dérivatif (et c’est arrivé souvent) - la cause de tous les maux de l’école résiderait, par exemple, dans le fait que l’orientation serait mal faite - même si c’est une question qui mérite qu’on la prenne en considération d’une façon un peu plus sérieuse que ne le font les différents pouvoirs politiques depuis de nombreuses années. C’est ce que je vais faire : la prendre au sérieux. On confond souvent les procédures, les étapes de l’orientation d’une part, et d’autre part l’orientation en tant que processus. En effet l’orientation est un processus permanent, quotidien, réalisant la progression de l’élève, de l’étudiant(e) dans tout le système scolaire et universitaire depuis le C.P. jusqu’aux ultimes étapes de l’université. Elle réalise, sous une forme continue, les conditions et les déterminations du cursus de l’élève, de l’étudiant, c’est-à-dire qu’elle se confond pour une très grande part avec le processus éducatif lui-même et ses finalités : former, développer la personnalité de chacun en tant que travailleur, citoyen, personne réalisant tout simplement sa vie. Il s’agit donc pour nous de promouvoir une conception développementale et dynamique de l’orientation c’est-à-dire de la progression de l’élève, de l’étudiant(e) dans le système scolaire et universitaire. Il s’agit de créer les conditions pour que les élèves et les étudiant(e)s élaborent sans limites et réalisent sans fin un projet personnel scolaire, universitaire, professionnel, de citoyen, de vie.

Le terme de projet a été tellement galvaudé depuis quelques années que son utilisation peut faire sourire voire même irriter, notamment à un moment où la société a beaucoup de mal à en proposer à la jeunesse. Il reste néanmoins que la construction continue du projet par l’élève, par l’étudiant(e), en même temps que sa réalisation, reste une question cruciale du développement personnel. Les conseillers d’orientation-psychologues (CO-Psy) peuvent, en complémentarité avec les enseignant(e)s, jouer un rôle important dans ce processus permanent d’élaboration, par les élèves et les étudiant(e)s, de leur vie future. Le projet est un thème qui prend pour objet aussi bien les institutions - notamment l’établissement scolaire - que la personne. Il me semble nécessaire d’en donner une définition psychologique. C’est ce que je vais faire à partir d’un exemple.

Un élève qui a, par exemple, pour projet en 6ème d’être professeur d’E.P.S. a-t-il changé de projet s’il exprime la même ambition en classe de terminale ? L’élève, de la 6ème à la terminale, n’aurait-il donc pas psychologiquement changé en 6 ans puisque son "projet" resterait le même ? Cette question peut être formulée différemment, notamment de la façon suivante, qui est essentielle même si elle reste partielle : être professeur d’E.P.S. a-t-il le même sens pour l’élève de 6ème qu’il était que pour l’élève de terminale qu’il est devenu ? On peut encore formuler le problème de la façon suivante : psychologiquement, le projet de l’élève peut-il seulement être défini par le fait que celui-ci désire être professeur d’E.P.S ?

Trop souvent le projet est réduit à son but, ici être professeur d’E.P.S. Il est bien évident qu’en six ans la représentation que l’élève se fait du prof. d’E.P.S. a changé ; par conséquent, de ce seul point de vue, le projet a changé. Mais le projet a bien d’autres constituants que le but qui n’en est, pour certains d’entre ceux-là, que la résultante. En effet, il est une catégorie essentielle au contenu psychologique du projet : ce sont les motivations qui sous-tendent la formation et la réalisation du but et qui donnent les sens proprement personnels - je dis bien les sens puisque le projet est toujours sous-tendu par plusieurs motivations qui peuvent d’ailleurs être conflictuelles - sens donc que ce but peut avoir pour l’élève ; le but lui permettant tout simplement de réaliser ses motivations. Difficile question psychologique qui requiert l’intervention d’un psychologue qualifié - d’un CO-Psy dans le secondaire et le supérieur - ; difficile question notamment parce que les motivations peuvent non seulement être conflictuelles mais aussi inconscientes. Là encore, on peut facilement penser que les motivations de l’élève ont changé, dans leurs contenus, leurs hiérarchisations, leurs coordinations, leurs rapports à la conscience - la distinction entre conscience et connaissance est ici particulièrement importante -, avec l’apparition d’une personnalité de plus en plus consciente d’elle-même, entre la classe de 6ème et la classe de terminale. Enfin, dernière catégorie d’éléments constituants le projet : les moyens que l’élève peut mettre en œuvre pour réaliser ses motivations, pour atteindre son but. Notons que parmi ces moyens le développement des capacités, savoirs et savoir-faire, prend une grande place. D’où la place importante que prend l’enseignant dans la construction et la réalisation du projet de l’élève. Le projet de l’élève est donc un lieu, un moment éducatif qui requiert l’intervention de l’équipe éducative : enseignant, CO-Psy, C.P.E... D’où la nécessité, notamment, que la formation psychologique des enseignants soit importante. J’insiste néanmoins sur le fait qu’un enseignant même bien formé sur le plan psychologique ne pourra pas remplacer le CO-Psy parce qu’il n’en aura jamais la formation, sauf exception, et surtout parce que son statut ne le lui permet pas. En effet l’enseignant(e) est aussi perçu par l’élève, par l’étudiant(e) comme une personne qui a pouvoir sur son avenir : la note est là qui porte et symbolise ce rapport d’autorité, contradictoire avec une fonction de psychologue ; je l’ai vécu chaque jour en tant qu’enseignant-chercheur et psychologue.

Je viens de parler du projet professionnel au contenu déjà complexe, mouvant. Dans le concret de l’élève il s’agit de penser la question en fonction de la dialectique qui unit et oppose projets professionnel, scolaire, de citoyen, de vie. On promeut actuellement une "éducation à l’orientation" (sic). Il s’agit tout simplement de promouvoir une conception très adaptatrice de l’éducation au cours de laquelle l’élève doit "apprendre" à mettre en rapport de vieilles lunes de l’orientation : le soi, le monde professionnel, le monde scolaire, mondes dont la forme de réalité ne dépendrait pas de l’action du soi en question. L’éducation du citoyen apparaît ici comme ayant des limites bien précises ! On passe ainsi sous silence la possibilité de l’activité collective pour agir sur le monde et donc sur soi, qui fait pourtant partie des droits inscrits dans la loi !

Les savoirs, savoir-faire, capacités développés, connaissances, informations, suffisent-ils à eux-seuls à recomposer, enrichir, développer, le projet de l’élève ? Evidemment non ! Les nombreuses études réalisées sur la question mettent bien en évidence que l’information, même si les connaissances sont assimilées en tant que connaissances, - ce qui n’est même pas le cas bien souvent - peuvent être d’une totale inefficacité psychologique - c’est-à-dire du point de vue du développement de la personnalité et de la conscience de soi [à ne pas confondre avec la connaissance de soi] - si cette information, ces connaissances n’ont pas de sens vivants pour le jeune, ne s’intègrent pas aux déterminants de son activité. Et pourtant combien de fois n’entendons-nous pas qu’il suffirait d’informer les jeunes pour que les problèmes de leur "orientation" ou même les questions de l’échec scolaire soient réglées !

Je voudrais, en post scriptum en quelque sorte, attirer l’attention sur une question particulière. On l’a vu à travers « La lettre aux éducateurs » de Sarkosy, l’idéologie des dons (la conception essentiellement biologisante et non pas essentiellement historico-sociale de l’essence humaine) est de plus en plus présente dans la société. Tous, nous pouvons tomber plus ou moins sous son emprise. Ce qui peut contribuer, très rapidement, à transformer l’orientation en sélection. La question des rapports entre ces deux processus est réabordée dans le texte suivant qui fut destiné par le Snesup à Monteil lorsqu’il était Directeur de l’enseignement supérieur.

Denis LEMERCIER.